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vendredi 27 juin 2008

Le Rapport Bouchard-Taylor (3)

Le 26 juin 2008
Suite du 24 juin et du 19 juin 2008

Réponse au rapport Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables.
Suite (3)

Voir le rapport sur le site www.accommodements.qc.ca

Avant que ce rapport, remarquable entre tous ceux qui sont sortis ces dernières années, ne soit relégué aux oubliettes, il convient de s’y intéresser autrement qu’en en faisant une analyse négligente. Ne serait-ce que par respect pour les citoyens d’ici qui ont payé de leur poche les millions qu’on y a investis. 
La plupart des commissions d’enquêtes chargées d’étudier les problématiques qui débordent le cadre de la simple actualité, sont d’une grande utilité. Il est regrettable de voir certains de ces rapports être tablettés sans que les autorités ne leur accordent toute l’attention qu’ils méritent.  
Surtout lorsque ces mises au rancart prématurées sont le fait d’opportunismes politiques. Il y a eu dans le passé des études qui ne valaient pas le papier sur lequel elles étaient imprimées, mais le rapport de la Commission Bouchard-Taylor mérite un bien meilleur sort.  
C’est une lecture passionnante qui vaut le détour, et ce que cette lecture contient d’irritant ne lui enlève rien de sa saveur toute polémique. Pour une rare fois où on nous invite à réfléchir sur un propos controversé traité avec intelligence, il faut avoir aussi cette intelligence de le lire avec ouverture, et considérer que ses conclusions maladroites, ses errements sont porteurs d’ensei-gnements utiles.
D’ailleurs les commissaires disent dans leur rapport qu’ils sont conscients des limites de leur mandat, et ils proposent entre autre démarche, que le gouvernement, dont c’est le job de gouverner, prenne ses responsabilités et continue l’effort de réflexion qu’un si vaste sujet commande.

Je remarque, comme tous les citoyens que la problématique des accommodements raisonnables interpelle depuis des lustres, que ce qui saute aux yeux dans ces revendications, est qu’elles émanent essentiellement de groupes religieux. La plupart des demandes faites au nom de droits laïques, civils, comme les exigences de parité salariale entre hommes et femmes, ont suivi depuis 50 ans la filière politique ’’normale’’, et la mise à jour des infrastructures publiques nécessaires aux handicapés physiques, afin qu’ils puissent jouir de leurs droits de citoyens, se continue avec comme seules contraintes les budgets requis pour leur faciliter l’existence au lieu de la leur compliquer.  
C’est ainsi qu’il a fallu refaire les trottoirs, réserver des places de stationnement, installer des rampes pour fauteuils roulants, modifier les autobus et le matériel d’accès aux bâtiments publics et privés.

Bref tout le monde a pu constater depuis plus de 30 ans, que notre société s’est engagée dans une démarche de respect des différences, du moment que celles-ci étaient raisonnables, et surtout que cette démarche-là était économiquement et socialement profitable. 
Parce que bien évidemment dans nos sociétés où les considérations économiques dictent tout, c’est l’argent qui décide.Il valait mieux en effet permettre à tous nos éclopés, handicapés, et victimes d’accidents, d’être en mesure de se prendre en main, plutôt que de devoir faire subir la charge de leur bien-être au quotidien, à l’ensemble de la société. 
On a découvert avec le temps et les investissements, que loin d’être des frais morts, ces mises à jour des infrastructures avaient des effets positifs sur les finances publiques et privées. Nos handicapés, temporaires ou permanents, peuvent maintenant jouer des rôles très utiles, et leur apport à la société prouve que les investissements consentis pour les accommoder valaient largement la chandelle. Question de dignité pour les citoyens qui en bénéficient au premier degré certes, mais bénéfice aussi pour toute la société qui en profite.

Mais qu’en est-il des demandes d’accommodements qui émanent de groupes religieux, et qui ont des exigences basées sur une lecture du Monde qui tient de l’irrationnel ? Que vient faire la raison dans cette déraison ?
Accommoder des gens qui ont des exigences à la limite de la férocité parfois, sous des prétextes de signes religieux et uniquement de cela, m’apparait comme indéfendable et irrecevable au premier chef. Je nuancerai plus loin. Pour le moment, puisque ce qui fait problème dans la dérive des accommodements est le religieux, examinons cet aspect en nous situant sur le terrain de la société laïque et civile que nous défendons. Tout en tenant compte de certains critères à caractère hautement humain, comme ceux de fournir des services religieux dans les hôpitaux par exemple, pour des malades en fin de parcours.
 
Ne nous laissons pas intimider par les réclamations de gens qui pratiquent des religions exclusives, et qui exigent d’être inclus contre toute logique, dans une société civile dont ils contestent (ou méprisent) de toute évidence le caractère laïque. 
La société civile pour être accueillante rappelons-le, exige de ses membres qu’ils participent activement à son élaboration. Cette participation postule que chacun a le devoir de modérer ses exigences, et de ne pas considérer l’espace public comme une sorte de terrain commun où tout et son contraire est permis. S’il fallait que l’espace public soit uniquement le lieu de toutes les revendications, y compris les plus féroces, les plus délirantes, il porterait le nom de champ de bataille. Il serait constamment rouge de sang. 

Bien que le rapport Bouchard-Taylor ait dégonflé la baloune de la crise des accommodements, en démontrant statistiques en main, que cette crise-là était un dérapage médiatique, il n’en demeure pas moins que les réclamations les plus intransigeantes, susceptibles à la limite du judiciaire, émanaient de groupes ou d’individus qui prétendent imposer leur particularisme religieux partout dans notre société, au vu et au su de tous et de toutes. 
S’il arrive parfois que certaines demandes soient motivées par des considérations personnalisées, qui expriment une véritable atteinte à des droits, il n’en demeure pas moins que beaucoup de ces exigences reflètent une éducation typée, autoritaire, presque toujours exclusive, qui refuse de tenir compte de la susceptibilité d’autrui, tout aussi valable que la leur. 
En somme si les médias ont dérapé, c’est à cause du caractère religieux de la plupart des demandes qui interpelaient les journalistes. Ces professionnels de l’information connaissent la charge émotive inhérente à tout ce qui est religieux. Ils auraient dû être plus prudents avec leurs manchettes. Mais comment résister à des sujets qui font vendre de la copie ? 
Au-delà des exigences de l’objectivité journalistique il y a les impératifs de la rentabilité d’une entreprise. C’est humain.

Ceux qui ont des exigences religieuses qui tiennent à la pratique de rituels ou à l’affichage de signes religieux (ostentatoires), confondent leur liberté avec un sentiment d’appropriation du domaine public, qu’ils veulent investir abusivement, et qui ne leur appartient pas à eux seuls. 
L’idée même d’espace public s’oppose à celle d’occupation autoritaire de son enceinte.Puisque les croyants qui pratiquent une religion sont si certains de leur a priori intérieur, et qu’ils veulent ainsi témoigner de leur foi en dieu, qu’ils commencent par suivre l’exemple de leur déité, qui jamais ne se manifeste dans le visible, et préfère depuis le commencement des temps habiter la conscience de ses créatures, fidèles ou pas. 
Si le dieu tout puissant des croyants s’accommode de rester discret jusqu’à l’invisibilité, et au silence millénaire, et dont la vision du Monde qu’il propose témoigne de sa présence, ses fidèles devraient eux aussi suivre son exemple, et cesser d’ennuyer tout le monde avec des réclamations au sujet de pratiques ritualisées jusqu’à la simagrée. 
Si nous vivions dans un système politique qui niait la liberté de conscience je comprendrais et défendrais le droit des gens à penser selon leur conscience, et à l’exprimer. L’affichage publique dans un tel cas, de particularités vestimentaires ou autres, s’inscrirait dans l’expression d’une contestation légitime. Mais pour ce qui nous préoccupe ici, c’est loin d’être le cas. Nos chartes des droits et libertés, nos constitutions sur lesquelles s’appuie notre légitimité d’exister, insistent toutes sur le droit de penser et de vivre sa religion. 
La liberté de conscience est protégée dans notre pays.Sauf, là où cet exercice, qui est un droit, exige d’être un droit absolu. Il importe, faut-il le rappeler, que l’exercice d’un droit pour être légitime, procède du respect de la Chose Publique. Ce qui est contraire au droit des gens en général affecte les droits des individus en particulier. La liberté de conscience, comme son nom l’indique, est une liberté intérieure avant tout. Du moment que cette liberté-là n’est nullement brimée et qu’elle peut s’exprimer dans les lieux qui la représentent, sans qu’elle cherche à s’imposer à d’autres consciences tout aussi susceptibles sur leurs droits, les gens libres que nous sommes, toutes religions et athéisme confondus, doivent se garder comme on dit par chez nous, cette petite gène, qui vous empêche d’aller ennuyer vos voisins avec vos pratiques et vos manies personnelles.
 
Les dieux, tels qu’ils sont représentés dans toutes les religions, se fichent parfaitement et totalement des accoutrements, vêtures, amulettes et grigris que les fidèles inquiets et superstitieux s’accrochent, qui au cou qui au poignet, pour témoigner de la puissance qu’ils adorent.  
Dieu nous ayant, selon ces religions intransigeantes, créé à son image et à sa ressemblance, est vraisemblablement (peut importe sa forme supposée) nu comme un ver, et ne s’en porte pas plus mal que tous les êtres vivants qu’il a créés, et qui vivent également tous nus, sauf les humains. À plus forte raison les dieux se fichent des rituels et simagrées qui veulent sous peine de mort distinguer tel croyant de tel autre.

Dans l’ancien monde qui s’estompe un peu plus chaque jour sous nos yeux, les sociétés vivaient refermées sur elles-mêmes, et la religion après la langue, remplissait un rôle identitaire qui assurait la cohésion sociale. La religion n’était pas la seule à remplir ce rôle dans les sociétés anciennes, mais elle occupait, à tort ou à raison, une bonne place dans l’expression populaire qui faisait la culture. 
Si la religion locale cimentait la société qu’elle investissait et représentait, elle dressait les unes contre les autres toutes ces sociétés refermées sur elles-mêmes et qui s’entretuaient toutes, du moment qu’elles se rencontraient.
À commencer par MM. Bouchard et Taylor, les gens sensés savent que les signes extérieurs religieux ne sont pas anodins. Ils témoignent de projets discutables sur le plan de la conscience, et leur visibilité doit être tenue sous la coupe, j’allais dire sous la poigne bienveillante et sévère du pouvoir civil. Le seul à pouvoir accommoder tout le monde, et le seul capable d’arbitrer les conflits. 
Autant je suis favorablement impressionné par le rapport, autant je suis déçu par certaines de ses conclusions et recommandations. Il m’apparait que les commissaires, soucieux de faire œuvre pédagogique, ont voulu comme on dit, être plus catholiques que le pape. Les religions, du moins celles qui se targuent d’universalisme, ont eu 10,000 ans pour discipliner la violence humaine et la changer en harmonie universelle, ce qui était leur projet de départ. Elles ont toutes failli à leur idéal rassembleur universel, et toutes ont sombré à des degrés divers dans le refus de l’autre. Toutes se sont vautrées et se vautrent encore et encore dans les violences les plus atroces qui soient. 
Au XXIe Siècle ce qui caractérise toujours les antiques religions, est leur exclusivité indomptable. Leur refus dogmatique de l’autre. Leur totale incapacité à favoriser une paix générale quelconque. Les religions, particulièrement les monothéistes, sont toutes toxiques. Au XXIe Siècle, les religions n’ont plus qu’un seul devoir, puisqu’elles continuent à subjuguer tant de consciences, c’est celui de la discrétion la plus absolue, et la plus respectueuse de l’ordre civil qui leur permet encore d’exister. Au temps de leur puissance, ces mêmes religions qui viennent aujourd’hui par la voix de certains de leurs adeptes, réclamer le respect intransigeant de leur dignité formelle, n’ont pas eu envers les autres ces égards qu’elles exigent maintenant pour elles. 
Il est rafraichissant de constater que parmi les mémoires soumis à la Commission Bouchard-Taylor, beaucoup émanaient de groupes religieux modérés, qui mettaient en garde les commissaires contre les demandes abusives de certains de leurs coreligionnaires. Il faut les écouter puisque au sein de leurs communautés, ces groupes représentent la majorité tranquille, silencieuse, soucieuse de vivre sa foi sans indisposer les autres. Ajoutons que ce qui alourdit la gestion des problèmes d’ici, est que le Québec faisant toujours partie du Canada, voit ses lois constamment tiraillées entre les deux pouvoirs antagonistes qui se disputent toujours l’adhésion des citoyens.

Lesquels selon leurs gouts, leurs couleurs, plus souvent sous l’effet de leurs humeurs passagères, expriment dans leurs revendications leurs seuls intérêts du moment. Et pour arriver à leurs fins naviguent de l’un à l’autre pallier gouvernemental. Quand ils n’ont pas gain de cause en s’adressant aux tribunaux québécois, ils s’adressent aux tribunaux canadiens. Il s’ensuit un climat de confusion qui tient au caractère particulier de la place que le Québec occupe dans la fédération canadienne. C'est une situation malsaine à tous points de vue. C’est un état des choses qui entretient l’incohérence dans les prises de décisions, et qui exacerbe les replis identitaires. 

Le Canada est bien connu pour avoir depuis 50 ans favorisé ce communautarisme qui lui interdit toujours de se considérer comme une véritable nation. Pathos maladroit que l’on retrouve dans l’expression ''mosaïque canadienne''.
 
Ce qui n’est pas le cas au Québec, pas plus qu’aux USA, en France, en Angleterre, en Espagne, en Italie, au Portugal, et dans les pays européens, où la nation singularisée par une langue particulière, cimente les liens entre citoyens. Un Québec indépendant aurait les coudées plus franches et serait bien mieux à même de favoriser l’intégration à sa société de tous ses citoyens, quels qu’ils soient.

D’autant plus que sa langue française, unique en Amérique, lui confère une identité parfaitement originale. Un Québec Indépendant à la croisée linguistique de l’Europe et de l’Amérique, disposera d’un atout majeur dans la place qu’il veut, peut et doit se tailler dans le concert des nations du Monde.
Quitte à se faire contredire par son vis-à-vis anglophone et fédéraliste, dont la marque préférentielle pour le Canada est manifeste dans la trame du rapport, Gérard Bouchard à titre de souverainiste aurait pu faire état en insistant pourquoi pas, de sa préférence politique. Je comprends qu’à l’intérieur de son mandat, alors que le gouvernement qui l’a engagé est fédéraliste, il se devait d’être modéré. Au point de mettre totalement en veilleuse son option politique? 
Je ne peux pas parler pour lui. Il y a dans cette attitude d’un indépendantiste notoire, quelque chose qui indispose.Un peu de dissidence indépendantiste et d’affirmation en ce sens aurait mieux reflété l’état réel du Québec dans le Canada. C'eut été aussi faire preuve de courage.
Espérons que lorsqu’il s’exprimera sans la contrainte de son mandat de commissaire, M. Gérard Bouchard le citoyen, saura mieux se situer politiquement. Quant à M. Charles Taylor on sait à quelle enseigne il loge. C’est son droit.
Reconnaissons toutefois que les commissaires sont tous les deux d’accord pour que le Français langue officielle, soit renforcé au Québec.
C’est bien, mais c’est timide, insuffisant. Bref c’est trop peu.
Oui à la liberté de conscience, oui à la liberté de pratique religieuse, non aux intrusions du religieux dans la sphère civile.

Vive le Québec libre, ouvert, et laïque !

‘’ Ce qu’on donne aux méchants toujours on le regrette. Pour tirer d’eux ce qu’on leur prête Il faut que l’on en vienne aux coups, Il faut plaider, il faut combattre. Laissez-leur prendre un pied chez vous, Ils en auront bientôt pris quatre.’’ 
La Lice, ses petits et sa compagne.
La Fontaine
 
Julien Maréchal




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